Quand le tatouage est venu en France à l’époque des colonies, c’était plutôt une pratique mal vue. Tu passais pour un•e paria si t’avais une bousille sur le bras – et souvent tu l’étais déjà avant : bagnard ou prostituée, on ne peut pas dire que ce soit des statuts super enviés, encore aujourd’hui. Pire, le tatouage servait à marquer les corps pour les maîtriser sur les esclaves comme plus tard dans les camps de concentration. Pourtant, si certains regardent encore le tatouage d’un mauvais œil, tout ça a bien changé avec la démocratisation de la pratique. De plus en plus de gens arborent des tatouages avec fierté – là, tu visualises tous ces corps décorés qui remplissent Instagram. Ça a changé les choses pour les tatoueur•euse•s qui n’encrent plus leurs clients dans les bars des ports mais dans des salons qui respectent des normes d’hygiène. Avec la professionnalisation du métier, ils ont eu l’opportunité de développer leur art. Si leurs aîné•e•s n’étaient pas dénué•e•s de talent, les évolutions techniques ont permis de réaliser des prouesses en mettant de l’encre dans les peaux avec des résultats parfois époustouflants – toi-même t’as déjà vu passer des photos qui t’on fait te dire « waouh ». Aujourd’hui, tous les éléments sont réunis pour qu’on puisse affirmer sans risquer la critique que le tatouage est un art.
Les dessins de tatouages
Pourquoi je dis ça ? D’abord parce que tatouer, ça implique un motif. Qui dit motif, dit dessin, et tout le monde ne sait pas dessiner. Il faut de la pratique, mais aussi du talent, pour arriver à faire quelque chose de mieux que ta nièce de 3 ans. Un dessinateur, c’est un artiste. Et admettons que tu utilises n’importe quel dessin trouvé sur internet pour le tatouer, c’est loin de vouloir dire que le résultat sera réussi. C’est comme quand tu décalquais quand t’étais enfant. Sauf que là, en plus de savoir tenir un crayon, maintenir le calque et suivre les lignes, tu dois maîtriser un appareil relativement lourd, qui a un moteur et qui vibre. Il paraît que ça fait mal au pouce à force.
Comme un peintre qui apprend à manier le pinceau, le tatoueur s’initie au dermographe. Son talent s’exprime à travers sa manière de piquer. Il choisit la taille et le nombre des aiguilles comme on choisit l’épaisseur et le type de poils d’un pinceau. Des lignes fines ou épaisses aux points, en passant par les aplats, certains tatoueurs se spécialisent dans une technique particulière. On connaît les tatouages qui ressemblent à de l’aquarelle ou ceux qui sont composés de petits points. Si sculpter implique de maîtriser une matière, savoir tatouer c’est aussi connaître la peau. Savoir comment elle réagit, s’adapter à ses différents types, savoir la tendre tout en travaillant. Et je ne vous parle même pas des autres techniques de tatouage traditionnel qui demandent encore d’autres savoir-faire.
En parlant des tatouages traditionnels, comme dans les autres disciplines artistiques, les œuvres qu’on a dans la peau correspondent à plusieurs esthétiques. Les tatouages japonais, maoris, thaïlandais, mais aussi les tatouages old ou new school, tribaux, réalistes ou encore graphiques. Certaines de ces esthétiques sont propres à l’imagerie de ce type de modifications corporelles – tu vois les hirondelles des marins ou le cœur avec « Maman » écrit dedans des gros durs –, mais d’autres s’intègrent dans des courants artistiques plus larges. Dans tout ça, les tatoueur•se•s développent au fil du temps un style qui leur est propre et qui peut les faire gagner en notoriété.
Les artistes tatoueurs
Peut-être que tu as déjà dû attendre plusieurs mois avant de pouvoir te faire encrer par ton tatoueur ou ta tatoueuse préféré•e à cause de son agenda bien rempli. Si le tatouage est un art, la valeur ses auteur•ice•s est plus ou moins reconnue. Certain•e•s sont très demandé•e•s alors que d’autres sont boudé•e•s. Et comme dans les autres disciplines artistiques, le talent et la reconnaissance se monnaient. Tout le monde ne peut pas s’offrir un tableau de maître. Quand tu veux avoir une pièce de ton artiste fétiche, vaut mieux avoir des économies.
Tu te dis peut-être qu’un tatouage ce n’est pas comme un tableau. Un tableau il est déjà fait quand tu le choisis, tu ne décides pas ce qu’il représente. Je te réponds que déjà, y’a des flashs, donc tu peux choisir un dessin et pas en faire faire un spécialement pour toi. Et puis les peintres, ils ont aussi des commandes. Tu crois que quelqu’un s’est dit un jour « Je pourrais faire le portrait de Louis XIV pour le fun ? ». Non.
Si les peintres ou les sculpteurs peuvent exposer leurs œuvres dans des galeries, les tatoueurs se réunissent dans les conventions de tatouage. Les œuvres sont montrées en photos dans des books et grâce aux personnes qui se font tatouer sur place, comme une performance. En plus de valoriser les artistes invité•e•s parce que le premier venu n’en fait pas partie, ces conventions sont l’occasion de décerner des prix afin de récompenser les meilleur•e•s d’entre eux.
Qui aurait cru que le tatouage entrerait au musée ? Et pourtant, une grosse exposition, Tatoueurs, Tatoués, a occupé le Quai Branly en 2014. Une belle consécration pour cet art populaire que d’être mis en scène dans un musée national. Si le tatouage ne peut pas se résumer à un art tant il est bourré de significations, le choix d’un musée aux collections non-occidentales avait permis de ne pas oublier la technique et le sens qui prennent forme avec tout cet encre aux quatre coins du monde. Toujours est-il que bon, si t’es tatoué, tu peux un peu te considérer comme le support d’une œuvre d’art. Même si on a encore du mal à voir le tatouage comme un art plutôt qu’une forme d’artisanat ou une pratique dissidente, faut croire que les choses vont changer quand on pense que 20% des jeunes Français sont tatoués.