Tu parles des règles librement toi ? Que tu sois concerné•e par ce phénomène biologique ou pas, je ne sais pas si tu as remarqué, mais c’est un sujet qu’on préfère éviter d’aborder. Je dirais même que c’est tabou les règles. On peut en discuter entre proches, et encore, on ne va que très – très – rarement dans le détail. Entre femmes, ça peut être un peu comme comparer son expérience au front, en mode à quel point t’as mal et c’est quoi tes astuces pour y faire face. Quand on en parle, il ne faut pas avoir peur que quelqu’un prenne l’argument des règles pour expliquer qu’on a des réactions qui ne lui plaisent pas trop. Toutes les femmes sont hystériques à un certain moment du mois, pas vrai, c’est bien connu – c’est faux.
Tu vas te demander : pourquoi est-ce qu’on ne peut pas parler des règles de manière décomplexée ? Qu’est-ce qui nous dérange tellement dans un phénomène naturel qui touche la moitié de la population pendant une grande partie de sa vie ? D’autant plus que, qu’est-ce qu’il y a de si tabou dans un événement mensuel qui témoigne de la fécondité ? Ce n’est pas une bonne nouvelle d’avoir un corps qui fonctionne ?
Le sang menstruel, c’est sale
« C’est dégueulasse » les règles, n’est-ce pas. « Eurk, ne parle pas de ça ». Alors que bon, ce qui sort du corps, globalement, c’est stérile. Quand on te fait une prise de sang, tu ne dis pas que le sang est « dégueu », c’est juste du sang. La différence, c’est peut-être que la prise de sang tu l’as acceptée, les menstrues, t’as pas trop le choix. Les règles, comme tu le sais peut-être, c’est la manifestation visible de la fécondité. Elles arrivent une fois le cycle terminé, quand les couches supérieures de l’utérus formées pour accueillir un fœtus se détachent parce qu’aucune graine n’est arrivée dans l’ovule est qu’on n’a plus besoin d’elles. Phénomène biologique qui est à l’origine de chacun•e d’entre nous, mais on trouve ça sale.
On n’en parle pas – ou le minimum –, on cache sa serviette pour aller aux toilettes, on achète des « protections hygiéniques » parfumées pour ne pas être découvertes à l’odeur, on tente de planquer son paquet de tampons à la caisse. Pourquoi des « protections hygiéniques » ? Parce qu’on doit se protéger de la tache de sang infamante sur le jean. Le sang dans les films d’actions, ce n’est pas un souci, mais dans ta culotte, ça ne passe pas. Certain•e•s me diront qu’il ne faut pas pousser non plus, c’est intime. Pourquoi on a des références au sexe partout alors, c’est pas intime peut-être ? Et le nombre de télé-réalités ? Et de partages de moments de la vie privée sur les réseaux sociaux ? Le tabou des règles, ce n’est pas une question d’intimité, il y a quelque chose de plus.
Quelqu’un qui s’est blessé et qui saigne, on ne l’enfermera pas dans la cave. Mais quelqu’un qui a ses règles, on l’écarte. Tu peux relire la Bible ou le Coran, mais aussi les préceptes hindouistes, ne serait-ce que ça. Au-delà des religions, il y a des tonnes de croyances autour des règles qui impliquent de mettre les femmes à part pendant cette période du mois. Pourquoi ? Les règles, c’est censé purifier les femmes, autrement dit, elles ont besoin d’être purifiées, elles sont sales par nature. Sympa. Et elles peuvent être contagieuses. Peut-être que c’est pour ça que le sexe pendant les règles, c’est encore plus tabou que les règles toutes seules. Au Danemark, on parle de ses règles en disant « J’ai la frustration masculine », par exemple.
L’art de parler des règles sans dire leur nom
Quand il s’agit d’être créatif•ve pour éviter de parler de celles-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, nos amies les menstruations, on ne manque pas d’idées. Parce qu’il y a plus de 5000 manières différentes de parler des menstrues, je vous ai fait une petite sélection des expressions les plus étonnantes ou révélatrices utilisées sur la planète.
Les plus concrètes :
- Avoir sa physiologie (Japon)
- Avoir l’habitude (Tunisie)
- Faire relâche (France)
Les ésotériques :
- Mes fleurs (Irlande)
- Avoir ses lunes (France) ou Le temps de la Lune (Australie, Canada, États-Unis, Indonésie, Japon, Malaisie)
- Hurler à la lune (États-Unis)
- Appeler le printemps (Chine)
- C’est la période du dragon (États-Unis)
Les motorisées :
- La voiture de pompier (Norvégien)
- Être au feu rouge (Thaïlande)
Les historiques et géopolitiques :
- On peut hisser le drapeau japonais (Pays-Bas)
- Avoir son premier mai (République Tchèque) – en souvenir des drapeaux rouges du 1er mai de la Révolution de velours
La sportive :
- Le Benfica joue à la maison (Portugal) – équipe de foot vêtue de rouge
Les guerrières :
- Les Russes sont venus (Grèce)
- Les Anglais ont débarqué (Belgique, Canada, France)
- L’armée rouge est en ville (France)
- La guerre a éclaté dans la cuisine (Pays-Bas)
- C’est le moment des torpilles (Pays-Bas)
Celles qui font comme si tes règles étaient des membres de la famille :
- Grand-mère est coincée dans les bouchons (Afrique du Sud)
- Avoir mémé en visite (Pays-Bas)
- Il y a la tante Flu(x) qui visite (États-Unis)
- J’ai une tante (Pologne)
- Recevoir sa famille (France)
Ou des visiteurs :
- Recevoir les peintres (Australie, Canada, Danemark, États-Unis, Irlande, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni)
- Michel est en ville (Québec)
- Les hôtes sont venus (Roumanie)
Les naturels :
- Avoir la tomate (Espagne)
- La semaine des airelles (Suède)
- Avoir ses rougets (France)
- Perdre ses viandes (Belgique)
La descriptive :
- Être sur le torchon (États-Unis, Angleterre)
Les marrantes :
- Avoir ses mickeys (France)
- Avoir ses ragnagnas (France)
- Être dans ses crottes (Québec)
Les pas si marrantes que ça :
- Être empêchée (France)
- Tomber du toit (États-Unis)
- Je suis intouchable (Inde, Népal)
- Avoir la malédiction (États-Unis, Royaume-Uni)
- J’ai la frustration masculine (Danemark)
On se demande quand même comment on en est venu•e•s à utiliser ces expressions. Certaines se concentrent sur la couleur, c’est facile à comprendre. Celle du torchon, bon, on sait que les serviettes hygiéniques n’ont pas toujours existé. Celles sur la famille, on imagine que c’est parce que c’était un moyen de se dérober au coït sans dire vraiment pourquoi. L’histoire de la malédiction, c’est quand même hyper négatif. Et parler de quelque chose de féminin en référence au masculin, bof.
Bref, même si on peut utiliser des images parlantes pour les évoquer, toujours est-il qu’on évite de parler des règles, et ça n’aide pas à bien les vivre. Ça se rajoute à tous les interdits autour des périodes de règles, des rapports sexuels pas très acceptés aux croyances qui te font croire que ce n’est pas possible de faire monter une mayonnaise. Cela dit, depuis peu, il y a des pubs qui ne montrent pas du liquide bleu mais rouge pour imiter le sang des règles afin de te montrer à quel point ta serviette hygiénique est absorbante. Les choses seraient-elles en train d’évoluer vers la démystification des menstrues ? Le temps nous le dira.
Et toi, tu utilises quoi comme mot ou expression pour parler des règles ?
*C’est pas évident de trouver des visuels de règles, alors des libres de droits, je vous dis pas.