C’est quoi ce nom-là d’abord, la « chandeleur » ? « Leur chant » ou « leur champ » en mauvais français ? Et quel rapport avec les crêpes, je te le demande ? Pourquoi la dictature de la crêpe revient-elle le 2 février de chaque année ? Bon, heureusement, on peut en manger à d’autres moments, et les Bretons l’ont bien compris (et j’inclus les galettes là-dedans ne pinaillons pas). Les Mexicains aussi. Les Erythréens aussi. Et plein d’autres à travers le monde en fait, la crêpe c’est un plat relativement répandu. Faut dire que ça ne demande pas des masses d’ingrédients.
La chandeleur, c’est pas le seul moment de l’année où on se sent plus ou moins contraint de manger un certain type d’aliment : juste avant dans le calendrier, on a la galette des rois, un peu après, les œufs de Pâques, et ça continue jusqu’à Noël, ses petits gâteaux, son vin chaud et plein de choses qui coûtent cher. Dans tous les cas, c’est des fêtes qui rythment l’année et l’enchaînement des saisons. Celle qui nous intéresse ici tombe en plein hiver, mais au moment où on sait que le printemps s’approche, 40 jours après Noël et peu de temps avant le carême qui précède Pâques. C’est donc l’occasion de s’en foutre plein la panse avant de jeûner pour plusieurs semaines. Ah, et, on est d’accord, aujourd’hui, les gens, croyants ou non, mangent des crêpes, mais combien font encore le carême ? Bref, tu vois où je veux en venir : la Chandeleur, en fait, c’est une fête chrétienne. Pour la galette des rois avec les Rois mages et Pâques et la résurrection de Jésus, on a quand même l’idée là en tête. Pour la Chandeleur, c’est moins évident.
La Chandeleur, tradition chrétienne
Donc, encore une fête chrétienne liée aux saisons qui comme par hasard vient se substituer à une fête dite « païenne ». Même plusieurs. La fête Celte d’Imbolc célébrée le 1er février en l’honneur la déesse Brigit pour la purification et la fécondité. Les paysans, flambeaux en mains, tournaient autour des champs pour les purifier. Et puis, la fête pour le dieu Pan, dieu de la fécondité et des troupeaux pour les romains. La version originale (et qui sait, peut-être qu’il y en avait une autre avant, je ne suis pas historienne), c’était les Lupercales qui avaient lieu vers le 15 février. Les gens sacrifiaient des chèvres et des chiens en l’honneur du dieu Pan au pied du mont Palatin, l’une des collines de Rome, et portaient ensuite leurs peaux et des flambeaux pour se balader dans les rues de la ville. Au passage, ils fouettaient les femmes qui étaient sur leur chemin. Il paraît que ça devait leur apporter fécondité pour l’année à venir. Ouais. Peut-être que sans ça c’était pas assez marrant ou alors c’était pour les inclure dans la fête en leur faisant la leur de fête. Au bout d’un moment, l’Église catholique a trouvé que ça suffisait comme ça, a interdit de fêter Pan et a plutôt poussé les gens en direction de la fête de la Présentation.
La fête des chandelles
Si tu regardes sur un calendrier où il y a les Saints et tout ça, au 2 février, tu auras « Présentation » et pas « Chandeleur ». Pourquoi ? En mémoire de la présentation de Jésus au Temple et de la purification de sa maman qui a eu lieu au même moment. C’était une tradition juive, 40 jours après la naissance d’un enfant. Son autre nom c’est la fête du « Christ lumière du monde » – rien que ça –, mais ça sonne moins humble. Lumière, flambeaux, y’a un truc là, non ? Des cierges d’église plutôt dans ce cas. Et voilà l’origine du nom : Chandeleur, c’est pour les chandelles. Fallait bien trouver un moyen de concurrencer les autres fêtes, et avec les gens qui en ont marre de la nuit hivernale, autant piquer ce qui fonctionne à la concurrence.
Les crêpes ne se sont pas rajoutées tout de suite à la fête, mais ça fait plus de 1500 ans a priori, c’est déjà pas mal. Pourquoi des crêpes ? Parce qu’elles sont rondes et dorées, ce qui fait qu’elles rappellent le Soleil, donc la lumière, et qu’à cette période de l’année le jour s’allonge de plus en plus vite. Il paraît que c’est un Pape qui en donnait aux pèlerins venus à Rome. Surtout, avant ça encore, les Vestales offraient des gâteaux faits avec le blé de l’ancienne récolte pour assurer la réussite de celle à venir pendant les Lupercales. Ils n’ont rien inventé ces catholiques.
La fin de l’hiver, ou pas ?
Ce moment dans le calendrier est un peu spécial pour une autre raison et tu as eu un indice : c’est la période de l’année entre deux moissons, et avec de la chance il reste de celle de l’année passée pour tenir jusqu’à la récolte à venir. Pour les paysans, des gens plus proches de la terre, la tradition de la Chandeleur, c’était aussi pour s’assurer une bonne récolte. Ils voyaient des présages dans la météo de ce jour particulier. Comme on dit, « si la Chandeleur pleure, l’hiver demeure » – personne ne dit ça. L’idée, c’est que plus il fait beau à la Chandeleur, moins l’hiver est terminé, et vice-versa. Cette histoire de saison est à l’origine de plusieurs fêtes, comme la fête de l’Ours dans plusieurs endroits en Europe ou la festa candelarum romaine elle aussi. Celle qui nous intéresse ici a cherché à les remplacer. La fête de la marmotte vient de là aussi, et elle est encore bien vivante.
Pour te résumer l’idée, la Chandeleur, c’est une fête de la fécondité plutôt pas originale remixée à la sauce chrétienne puis à la sauce au chocolat, ou au sucre, ou à n’importe quoi, tu mets ce que tu veux sur tes crêpes.
Tu savais toi que c’était une fête religieuse à la base ?
Bonus : il y a des choses pas très catholiques qui se passent avec les crêpes et des pièces d’or. Je te laisse chercher par toi-même, mais laisse-moi te dire que je doute qu’une pièce d’or dans une crêpe puisse l’empêcher de moisir pendant une année entière sur l’armoire de ta chambre, que la fécondité soit en jeu ou pas.
Moi je la mange 🙂